Fiction Factories

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Fiction Factories

« Fasciné par l’architecture industrielle, Philippe Calandre rehaussait en 2002 ses tirages en noir et blanc de peinture, fabriquant des chromos d’un esthétisme revendiqué, artisanal et pince-sans-rire (ce que confirmaient des légendes aussi fantaisistes que « La résidence principale [ou secondaire] de Monsieur Spock », « Notre-Dame des farines biologiques »…

Désormais, l’artifice, tout aussi délibérément affiché, consiste à réaliser des « collages » informatiques. La maladresse paradoxalement maîtrisée des œuvres réalisées il y a dix ans a disparu. Formellement, le propos se précise et se radicalise, la manière de coloriser les fragments architecturaux est plus soignée. Le fond n’est pas, au départ, celui de la construction : la profondeur de champ s’en trouve faussée, les formes du premier plan semblent aplaties.

L’on sent bien que cela pourrait « faire illusion » mais en réalité « cela ne marche pas tout à fait ». Les fragments de ces immenses Legos ou Rubik’s Cubes s’emboitent trop parfaitement sans doute, surgissant comme un cauchemar trop lisse et désincarné de science-fiction, pourtant au premier abord si séduisant… Comme dans la chanson de Bashung, on aimerait pouvoir regarder à l’intérieur de ces jouets un peu monstrueux, mais on ne peut pas, hélas les parois restent fermées et insondables, obstinement opaques, silencieuses…

 

La fiction iconique dysfonctionne et c’est tant mieux. Telle une « transparence » cinématographique (procédé qui consiste à projeter une scène derrière celle jouée par les acteurs. Hitchcock y eut très souvent recours, par exemple, pour les scènes se déroulant dans une voiture…). Le ciel sans relief devient un écran mental. La perspective euclidienne malmenée évoque une nouvelle forme de cubisme. Un cubisme post-moderne et jubilatoire.

 

L’enjeu n’est toutefois pas seulement esthétique. En filigrane, se dessine une critique, sous forme d’ hommage ironique, à la société postindustrielle. En effet, alors que d’habitude ces architectures industrielles monumentales semblent écraser l’individu, ce sont elles qui sont ici écrasées.  Toute la force de ce travail tranquillement transgressif réside dans le renversement des codes iconiques, l’inversion du rapport de force. L’humain qui se refuse à devenir un androïde aurait-il repris finalement le pouvoir dans les fictions postindustrielles qu’élabore Philippe Calandre, cet habile architecte de l’absurde… »

 

Yannick Vigouroux